Vulnérabilité, vous avez dit vulnérabilité?

2 juillet 2018

Une décision et/ou un tweet de Donald Trump et toute la planète se couvre d’un sentiment de honte, d’un sentiment de peur, d’un sentiment de culpabilité, d’un sentiment d’impuissance. Oppression des migrants, construction d’un immense mur à la place d’un pont, exclusion des uns les laissant dans leur pauvreté afin de protéger les richesses et les privilèges des autres, augmentation des inégalités tout en assumant ces décisions iniques.

À toutes ces décisions s’ajoute celle qui était de trop: séparer les enfants de leurs parents. Une nouvelle guerre est déclarée, de nouvelles persécutions sont ordonnées; et même si le président Trump a décidé de revenir en arrière, il a définitivement franchi la ligne rouge de l’inacceptable, la ligne qui sépare l’Homme du monstre. La frontière du mal est franchie. Trump ne nous trompe même pas: il répand un immense étron nauséabond sur le monde et nous laisse désemparés; il nous rend vulnérables. Comment rester inactif dans nos bureaux, dans nos structures qui sont comme des tours d’ivoire sans crier notre révolte?

Cette révolte est portée par bons nombres de médecins qui agissent au quotidien. En Suisse romande, leurs porte-paroles s’expriment: dans un ouvrage collectif dirigé par Patrick Bodenmann, Yves Jackson et Hans Wolff[1], sont abordées avec lucidité les différentes dimensions de la précarité dans un contexte de vulnérabilité. La force de cet ouvrage découle du fait que les auteurs font preuve de courage, qu'ils montrent que la pensée et les valeurs développées par notre maître Hippocrate sont toujours présentes dans le cœur de ces médecins, cliniciens soignants engagés au service de l’autre, dans toutes les dimensions de la dignité humaine. Ce livre est comme un cri salutaire qui doit résonner et faire raisonner les femmes et les hommes qui sont comme englués dans la chape de honte qui a atteint des sommets d’iniquité avec les ambitions de Donald Trump. Assumons notre révolte et osons dire non à cette Amérique des extrêmes.

Revenons à l’ouvrage de Bodenmann et collaborateurs: il est important. Cette somme de réflexions – outre son utilité pour la pratique clinique – nous ouvre les yeux et apporte une lumière sur cette vulnérabilité qui est en nous et que nous ne regardons pas. Nous oublions d’où nous venons, quelles sont nos racines: nous ne voulons pas regarder en face notre histoire, la pauvreté qu’ont connue nos arrières grands-parents, les misères qui ont suivi les deux grandes guerres. La Syrie est à nos portes, la Méditerranée est un immense cimetière qui n’engloutit pas que des marins, loin de là. L’Afrique respire encore les traces nauséabondes du colonialisme; l’Afrique se révolte; l’espoir d’un monde meilleur efface le désespoir infini qui envahit le quotidien de la jeunesse…

Le terme de «vulnérabilité[2]» est utilisé de plus en plus dans le langage universitaire. La vulnérabilité interroge, sa définition varie. Mais ce mot interpelle aussi, et c’est dans ce sens qu’il est riche: il touche – de par sa diffusion sociétale – un nombre croissant d’acteurs. Il est de fait devenu omniprésent dans les médias, les rapports et les communiqués des associations. Mais n’oublions pas que toutes nos certitudes peuvent disparaître sous l’influence d’un tweet de Donald Trump. La vulnérabilité se reprendra d’autant plus vite que, systématiquement, nous occultons notre vulnérabilité.

Néanmoins, il y a plus de grandeur à s’occuper des vulnérables que de les exclure de notre regard au nom de la protection de notre propre vulnérabilité. Et n’oublions pas, comme le dit si bien Montaigne[3]: «Il y a encore plus d’intelligence à instruire les autres qu’être instruit». Merci Monsieur Bodenmann. Merci à vos associés et collègues: vous nous instruisez … dans nos vulnérabilités.

[1] Vulnérabilité, équité et santé, RMS éditions, 2018, 430 p.

[2] Du latin vulnus, vulneris (la blessure) et vulnerare (blesser), le vulnérable est, selon le dictionnaire Larousse, celui «qui peut être blessé, frappé», «qui peut être facilement atteint, qui se défend mal». Le terme a pour synonymes «fragile» et «sensible». Sorte de «talon d’Achille» plus ou moins généralisé, la vulnérabilité convoque, comme l’a montré Hélène Thomas, deux notions: la fêlure d’une part (la zone sensible, fragile, par où arrivera l’atteinte) et la blessure d’autre part (qui matérialisera l’atteinte). La vulnérabilité désigne ainsi «une potentialité à être blessé» (http://www.laviedesidees.fr/Le-concept-de-vulnerabilite.html).

[3] Les Essais, livre 2, chapitre XII.

Jean-Daniel Tissot, Doyen FBM

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